Quotient intellectuel et accès au don de sperme : où va-t-on ?

Quotient intellectuel et accès au don de sperme : où va-t-on ?

Roger Gil; Billet éthique, 30 novembre 2025, 187

      On peut lire sur le site DR (Danmarks Radio), entreprise publique de radiotélévision cette annonce du 8 novembre : « Fini les spermatozoïdes stupides : une banque de sperme danoise impose des critères minimaux de QI aux donneurs [1] »! Cette banque de sperme danoise déclare d’ailleurs sur son site[2] que, née dans les années vingt, elle « incarne la nouvelle génération de banque de sperme » avec « une vision moderne du don de sperme, où la transparence, la qualité et l’éthique sont les mots d’ordre, et où l’individu se trouve au centre de nos préoccupations ». « Notre ambition ? Devenir une référence en matière d’approche personnalisée, aussi bien pour les personnes qui aident les autres que pour celles et ceux qui ont besoin d’être aidés. Chez Born, nous croyons fermement que tout individu a le droit de fonder une famille, quelles que soient ses origines, son orientation sexuelle, ses relations, son statut matrimonial ou son identité de genre. À nos yeux, une famille est définie par la présence d’un ou plusieurs parents avec un ou plusieurs enfants. Nous pensons que la parentalité se caractérise davantage par l’amour et l’affection que par la biologie ».

Après une profession de foi aussi roborative, on en vient à la sélection des donneurs qui est très rigoureuse puisque 10 % des candidats sont admis au don après une évaluation minutieuse : questionnaire médical « complet », entretiens individuels multiples ; tests de personnalité, dépistage de huit infections sexuellement transmissibles et suivi médical régulier des donneurs dits « actifs », c’est-à-dire donnant régulièrement leur sperme. Des conseils sont dispensés par un cadre de l’entreprise dont il est précisé qu’elle travaille depuis plus dix ans dans « l’industrie de la fertilité ». C’est donc cette banque industrielle de la fertilité qui a décidé d’augmenter le niveau de qualité du sperme en exigeant un quotient intellectuel minimal de 85 pour les donneurs. Rien n’est dit sur les tests de QI retenus, ce qui aurait été une précision utile. Soulignons seulement que ces tests se réfèrent à un échantillon de population représentatif de la population générale dont la moyenne des résultats est représentée par le chiffre 100 et les personnes ayant un QI inférieur à 85 représentent 15, 87 % de la population. La banque déclare éliminer environ 18 % des donneurs, mais elle n’édicte aucune limite supérieure au QI des donneurs.

De longs débats[3] ont agité le monde de la psychologie, et ont vu s’affronter deux opinions opposées. La première soutenait que le QI relevait essentiellement de facteurs génétiques, l’autre défendait l’intervention de facteurs environnementaux et tout particulièrement le contexte social et éducatif. En fait ces deux facteurs s’intriquent de manière complexe, mais le directeur de la banque a souhaité appliquer une sorte de principe de précaution visant à optimiser la qualité du sperme, jugée essentielle à la qualité de l’enfant à naître en soulignant que le QI ne préjuge pas de la valeur des personnes, mais que l’on observe parmi les personnes les plus aisées une proportion plus importante de personnes dotées d’un QI élevé. Le souci de la banque est ainsi de donner aux parents le maximum de garanties sur leur progéniture, car un QI élevé est aussi lié, outre la réussite professionnelle, à de meilleures performances en termes de salaire, de risque de décès prématuré, du risque de maladie mentale. Ajoutons enfin que la banque déclare qu’elle est la seule à opérer une sélection aussi rigoureuse et elle ajoute l’exclusion des personnes n’ayant pas un casier judiciaire vierge.

Sur le plan scientifique, les garanties proposées par cette banque sont-elles solidement établies ? L’intelligence a de multiples facettes et le concept de QI doit s’appuyer sur une évaluation précise des « outils » utilisés pour mesurer les diverses composantes de l’intelligence. Les arguments utilisés privilégient des données matérielles, consuméristes, mais qu’en est-il de l’épanouissement humain des personnes appelées à la vie ? Si la banque vise les QI « faibles », elle semble ignorer que les « surdoués » ont aussi des difficultés d’adaptation. En outre que dire de l’absence de contrôle prédictif à l’égard de risques génétiques majeurs comme ceux illustrés par ce donneur de sperme qui entre 2008 et 2015 a permis la conception de 67 enfants issus de 46 familles de 8 pays européens alors qu’il était porteur du gène rare du cancer TP53 transmis à 23 des enfants dont 10 ont déjà développé un cancer, notamment leucémie et lymphome non hodgkinien[4].  Pour autant est-il raisonnable de penser que l’on pourra faire un jour une analyse de tous les désordres génétiques ? Le chiffre de 75 naissances donné par la banque européenne de sperme comme limite supérieure est-il raisonnable [5]?

Sur un plan éthique, les questionnements s’amoncellent. Le monde est passé de la médecine de la fertilité à l’industrie de la fertilité. La qualité du sperme veut garantir la production d’un enfant réifié dont les biotechnologies veulent écrire le destin calqué sur le modèle validiste et consumériste. On constate l’infiltration sociétale du principe de bienfaisance procréative[6] qui veut déterminer le meilleur futur possible des enfants à naître en l’érigeant en nouveau devoir moral. Ce futur cumule des données esthétiques, l’éradication de toute déficience et la réussite sociale. Les biotechnologies lucratives veulent prendre dans leur filet le rêve de l’enfant parfait, de l’enfant programmé. Mais qu’en sera-t-il si l’enfant qui vient ne répond pas aux qualités escomptées ? Comment croire que tous les déterminants génétiques pourront un jour être contrôlés ? Comment croire qu’un casier judiciaire vierge d’un donneur de sperme augure de la réussite d’un enfant ? Comment croire qu’une donnée aussi simpliste qu’un chiffre de QI isolé de tout contexte puisse prédire cet ensemble composite qu’est l’intelligence humaine et l’écrin émotionnel dans lequel elle se déploie ? Comment croire que l’environnement familial, affectif, social de l’enfant ne compte pas aussi dans son développement et dans son épanouissement ? Quelle banque de sperme pourra demain garantir l’essentiel : accueillir l’enfant attendu dans l’inconnu de son « pouvoir être [7]», mais en l’aimant pour lui-même et en œuvrant à son épanouissement et à son bonheur.

[1] https://www.dr.dk/nyheder/kultur/slut-med-dum-saed-dansk-saedbank-har-minimumskrav-til-donorers-iq

[2] https://www.fiv.fr/banque-de-sperme-born-donor-bank-danemark/

[3] Voir par exemple Hans J Eysenck, ‘The Concept of “Intelligence”: Useful Ou Useless’, Intelligence, 12 (1988), pp. 1–16. et Linda S. Gottfredson, ‘Hans Eysenck’s Theory of Intelligence, and What It Reveals about Him’, Personality and Individual Differences, Hans Eysenck: One Hundred Years of Psychology, 103 (2016), pp. 116–27, doi:10.1016/j.paid.2016.04.036.

[4]https://videnskab.dk/krop-sundhed/saed-fra-donor-med-saerligt-kraeftgen-brugt-til-at-undfange-mindst-67-boern/

[5]https://www.europeanspermbank.com/fr?gad_source=1&gad_campaignid=21223361169&gbraid=0AAAAA9oNQ0Pgy5LOKGD9G62ngcXprQ03x&gclid=Cj0KCQiAxJXJBhD_ARIsAH_JGjhVyD1cTD-zD4K-6K989e59j3BNqBh1myBfwMDoYsi8C5zb5YO5OjMaAo9iEALw_wcB

[6] Roger Gil. Le principe de bienfaisance procréative.  Billet éthique, 16 août 2025, 175. https://roger-gil.fr/?p=2039

[7] Martin Heidegger, Etre et Temps, trans. by Emmanuel Martineau (Edition numérique hors commerce, n.d.) <http://t.m.p.free.fr/textes/Heidegger_etre_et_temps.pdf>.

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