Fin de vie deux projets de loi ou le double mérite de la clarté et du respect d’une société fracturée
Roger Gil; Billet éthique, 31 janvier 2025, 156
Manifestement, la proposition faite par le Premier ministre de séparer la législation sur les soins palliatifs de la législation sur l’aide active à mourir a jeté un pavé dans la mare. On entend parler de « stratagème », de « recul », de volonté de retarder la législation sur l’euthanasie, voire même de « l’enterrer »[1] alors même que le Premier ministre a déclaré que ces deux textes seront examinés « en même temps ». Pour ne pas être à court de métaphores, on a même pu évoquer « la désolante agonie du projet de loi sur la fin de vie »[2].
Pourquoi ces craintes bruyamment étalées alors même que tout indique que l’assemblée nationale comporte une majorité de députés pro-euthanasie et que lors de la précédente législature, les articles du texte qui avaient été votés avaient déjà largement mutilé le texte proposé par le gouvernement, qui lui-même s’était inspiré de l’avis prudent émis par le comité consultatif national d’éthique. Certes ce texte avait encore bien du chemin à parcourir pour être adopté par les deux Chambres, mais enfin les députés, dans les conditions d’accès à l’aide active à mourir avaient été bien au-delà de la convention citoyenne, qui encadrait l’ouverture d’un droit d’accès à l’aide active à mourir aux personnes atteintes d’une maladie engageant le pronostic vital à court et à moyen terme. Or, constatant que le concept de moyen terme était imprécis, les députés l’avaient remplacé par un terme plus imprécis encore qui est celui d’une phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable en supprimant la nécessité de l’engagement du pronostic vital. En outre, le délai de réflexion d’au moins deux jours, entre la demande d’euthanasie et son exécution pouvait même être diminué ! Comment est-il possible d’écouter, de comprendre une demande d’aide active à mourir dans des délais aussi expéditifs ? Comment discerner un état dépressif, un sentiment d’abandon, de déliaison sociale, le sentiment d’inutilité, la baisse d’estime de soi qui peuvent acculer des personnes vulnérables à formuler de telles demandes ? Pire encore, les députés avaient prévu un délit d’entrave à l’aide active à mourir qui pouvait sonner comme une injonction à refuser d’assister une personne en danger sitôt que sa demande de mourir devait être considérée non comme un appel à l’aide, mais comme un droit. Une telle disposition, qui n’a été retenue par aucune législation étrangère, témoignait d’une spirale jusqu’au boutiste heurtant les fondements mêmes de l’accompagnement et susceptible de remettre en question la prévention du suicide et le discernement indissociable de toute relation d’écoute « mise au pas » par des menaces de sanctions. Les personnes qui seraient volontaires pour administrer une substance léthale ne seraient-elles que des instruments auxquels serait dénié le droit de penser la relation humaine au profit d’une application quasi-mécanique de la loi ?
Restait aussi pour les soignants engagés en Soins palliatifs, le bouleversement que constituait le désir du législateur de considérer l’aide active à mourir comme un soin. Même si l’aide active à mourir est considérée comme un droit ou une liberté, faut-il pour autant impliquer les soignants, même en leur octroyant une clause de conscience. Le soin qui vise le mieux-être ou le bien-être des personnes malades peut-il consister à supprimer le malade pour supprimer sa souffrance ? Alors même que la loi de 2005 avait déjà édicté qu’il ne pouvait exister nulle limite au traitement des souffrances même si ce traitement avait comme conséquence non voulue d’abréger la vie ? Alors que la loi de 2026 avait ajouté la sédation profonde et prolongée jusqu’au décès.
Nul doute que la surenchère parlementaire a encombré, retardé, l’examen du projet de loi dont on ne pouvait nier qu’il générait aussi une fracture sociétale. Il heurtait de manière frontale les équipes de professionnels de santé œuvrant en soins palliatifs et dont le métier est d’accompagner chaque jour les malades en fin de vie. C’est ce qu’avait montré avec force le dernier Congrès national de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs qui avait réuni du 12 au 14 juin plus de 2700 personnes, en majorité des soignants, médecins, infirmiers, aides-soignants engagés dans l’accompagnement des malades en fin de vie. Le sentiment qui dominait était bien que les projets législatifs sur la fin de vie avaient fait des soins palliatifs le cheval de Troie de l’aide active à mourir. Comment tout à la fois prévoir en même temps la mise à niveau de l’offre de soins palliatifs en France (qui nécessitera plusieurs années ?) à l’application immédiate d’un accès à la fin de vie en dépit d’une carence persistante en soins palliatifs.
Une démocratie ne peut méconnaître ni son peuple ni son Parlement. L’aide active à mourir, euthanasie ou suicide assisté, dans les pays où elle est autorisée a été l’objet de modifications incessantes qui démontrent qu’elle vise toujours à dépasser le cadre de l’accompagnement de fin de vie pour embrasser le concept de « maladie incurable », alors même que les progrès de la médecine ont surtout permis de rendre la vie compatible avec des maladies incurables et que le concept d’incurabilité a même été appliqué en Belgique et aux Pays-Bas, de manière abusive à de jeunes personnes atteintes de maladie mentale et qui ont été euthanasiés[3] En dissociant dans leurs indications euthanasiques l’incurabilité et l’engagement du pronostic vital, en amalgamant les causes physiques et les causes psychologiques de souffrances, ces pays ont fait le choix d’accepter d’ôter la vie dans des situations qui pourtant posent un double problème, certes éthique, mais aussi scientifique : affirmer l’incurabilité d’une maladie mentale.. .
Ainsi la proposition du Premier ministre a la sagesse de tenir compte des deux grandes sensibilités qui habitent notre pays. Opérer une distinction entre les soins palliatifs et l’aide active à mourir et en faire deux lois distinctes répondra à deux visions anthropologiques de la vie humaine, sans faire violence à l’immense majorité des soignants en soins palliatifs qui accompagnent quotidiennement les malades. Les parlementaires se prononceront ainsi sur deux projets de loi sans imposer un amalgame qui ne ferait qu’ajouter aux inquiétantes divisions Les lois dites permissives ne sauraient se substituer avec violence à la conscience de chaque citoyen.
[1]https://www.francetvinfo.fr/societe/euthanasie/deux-lois-sur-la-fin-de-vie-vers-un-recul-sur-l-aide-a-mourir_7043480.html
[2]https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-belgique-avec-francois-bayrou-la-desolante-agonie-du-projet-de-loi-sur-la-fin-de-vie_226917
[3] . Les dépressions, les états de stress post-traumatiques ne sont pas les seules affections neuropsychiques, donc n’engageant pas le pronostic vital, qui peuvent conduire en Belgique, aux Pays-Bas, à accepter une demande d’euthanasie[3]. Dans le dixième rapport aux Chambres législatives (années 2020-2021) de la Commission fédérale de Contrôle et d’Évaluation de l’Euthanasie[3], sur les 102 cas d’euthanasies belges pour affections psychiatriques, on relève un peu plus d’un tiers de dépressions, 10 % d’états de stress post-traumatiques incorporant des « deuils pathologiques », 15 % de schizophrénies, d’autres troubles délirants et de troubles du spectre de l’autisme, et un tiers environ de troubles de la personnalité et du comportement, sans autres précisions. Voir : https://www.linkedin.com/posts/roger-gil-562a1472_vous-trouverez-ci-dessous-un-lien-vers-le-activity-7032039574298087425-428b?utm_source=share&utm_medium=member_desktop
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