Additifs alimentaires : l’éthique à l’épreuve du consumérisme
Roger Gil; Billet éthique, 7 février 2025, 157
Il faut manger pour vivre disait Harpagon dans l’Avare de Molière et non pas vivre pour manger. Hélas cette assertion n’était pas mue par le souci de la santé mais uniquement par la réduction du coût de l’alimentation réduite à un besoin biologique fondamental (manger pour vivre). Effectivement l’alimentation puise sa source dans les parties les plus archaïques du cerveau que l’on appelle le cerveau reptilien qui régit tout ce qui est nécessaire à la survie : la nourriture, la reproduction donc la sexualité, la défense du territoire. On pourrait alors penser qu’il suffirait de satisfaire ce qui est nécessaire à sa survie pour régler son absorption alimentaire sur la sensation de satiété. Mais la réalité est plus complexe : le cerveau reptilien n’est pas isolé et étanche, il est en lien avec le cerveau mammifère qui régit les émotions et la mémoire. L’être humain se souvient de ce qu’il mange : ses papilles linguales, son odorat confèrent à ce qu’il porte en bouche, des qualités olfactivo-gustatives qui peuvent être agréables et l’attirer ou au contraire désagréables et entraîner alors rejet ou dégoût. En outre, certains aliments solides ou liquides activent au niveau cérébral le système de récompense (le sucre est de ceux-là ; les boissons alcoolisées aussi) et génèrent un danger d’addiction. D’autres attributs sensoriels activent la saveur des aliments : par exemple sa couleur, sa forme, sa texture. Enfin l’alimentation a aussi acquis une valeur relationnelle que l’on peut appeler la commensalité : outre l’alimentation ordinaire, petits et grands évènements sociaux, plaisir d’être ensemble sont de puissants stimulants de ce mouvement d’attraction qu’on appelle l’appétit. La partie la plus évoluée du cerveau humain, le cerveau néo-mammalien, largement connecté aux zones cérébrales archaïques peut tout à la fois cultiver avec élégance l’art de bien manger et de bien boire comme il peut aussi tomber sous l’emprise de produits alimentaires qui l’asserviront en altérant sa santé.
Si l’on ajoute que la plupart des aliments solides et liquides se vendent et s’achètent, une industrie est née qui s’appelle l’industrie agro-alimentaire : pour vendre mieux et plus, il a fallu appeler à la rescousse la chimie pour prolonger la durée de conservation des aliments, pour flatter les organes des sens et même le goût de l’authenticité en modifiant la couleur par exemple pour faire croire que le sirop de menthe est naturellement vert, pour agrémenter la texture et surtout exalter l’attrait gustatif en usant par exemple de sucre ou d’édulcorants, de sel, et des exhausteurs de goût stimulant les papilles sensibles à ce que l’on appelle l’umami ou goût délicieux. Bref d’innombrables produits chimiques truffent d’innombrables aliments fabriqués.
Il est commun de dire que sur le plan éthique, les concepteurs d’aliments devraient procéder à une évaluation des bénéfices et des risques. Mais le problème est-il ainsi bien posé ? Le risque cancérigène par exemple peut nécessiter des expérimentations animales coûteuses et qui elles-mêmes posent des questions éthiques. Reste l’observation de populations humaines qui sont ainsi exposées mais dont les résultats sont exprimés en termes probabilistes souvent contestés ? On comprend ainsi que la nocivité éventuelle de bien des produits ne soit établie que tardivement.
On pourrait aussi invoquer le principe dit de précaution mais à partir de quel seuil le déclencher ?
On pourrait aussi ne s’en tenir qu’aux produits déjà connus en faisant un moratoire qui permettrait déjà de progresser et de trier sans la course effrénée aux innovations que nous connaissons ?
L’éthique exigerait aussi la transparence, l’écriture en termes clairs et non codés des additifs utilisés mais beaucoup de dénominations chimiques restent inconnues de citoyens.
Que reste-t-il alors ? En appeler sans doute à l’engagement des industriels de ne plus utiliser de produits dont la toxicité a été reconnue ou fortement soupçonnée? Ce serait un premier pas. Mais comment obtenir ce souci d’autrui dans un commerce mondialisé dont les consommateurs lointains et anonymes ne sont que des instruments au service de l’économie. N’est-il pas triste de constater que dans un monde où tant de populations, tant d’enfants sont malnutris, la question des additifs n’apparaisse pas comme une préoccupation de second ordre faite pour des pays riches ? Il est rare que la multiplication des contrôles soit réellement efficace. On connait ses limites dans tant de domaines comme la circulation routière, la drogue. Et il en sera ainsi tant que l’humanité ne sera pas convertie à la seule valeur qui pourra changer le monde : la fraternité dont on, constate qu’elle est difficilement compatible avec une civilisation consumériste qui pratique bien des formes de guerre, dont la guerre commerciale.
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Additifs alimentaires éthique consumérisme, billet 157
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