Bien-être au travail: méditation éthique

Bien-être au travail : méditation éthique

Roger Gil.Billet éthique, 26 octobre 2025, 183

       L’Organisation Mondiale de la Santé avait ambitieusement défini la santé, en 1948, comme un état de complet bien-être, physique, mental et social. La santé est donc bien plus que l’absence de maladie ou d’infirmité et à la conférence d’Alma Ata, organisée en 1978, sous le patronage commun de l’Organisation mondiale de la santé et du Fonds de secours à l’enfance, les Nations-Unies avaient déclaré tout à la fois que la santé est un droit fondamental de l’être humain, et que l’accession au niveau de santé le plus élevé possible est un objectif social qui intéresse le monde entier. On sait hélas que les inégalités dans la situation sanitaire des peuples doivent être considérées comme inacceptables, que ces inégalités concernent certains pays par rapport aux autres ou qu’elles concernent certaines populations à l’intérieur d’un même pays. Ainsi la santé n’est pas qu’une affaire d’une personne, mais une affaire publique convoquant non seulement la responsabilité des États, mais la responsabilité de chaque être humain dont le droit à la santé est lié au devoir de participer aux soins de santé qui lui sont destinés. La route était ouverte pour construire le concept de promotion de la santé, dont l’objectif défini en 1986 par la charte d’Ottawa est de donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l’améliorer. Ceci nécessite certains pré-requis comme l’accès : à un logement, à la nourriture, à un revenu suffisant pour gérer les besoins liés à la vie familiale, y compris le superflu, dont Voltaire disait qu’il était « chose très nécessaire ». Or le travail est la condition essentielle pour permettre à l’être humain de vivre dignement. Le travail occupe en effet une part importante de la temporalité de la vie quotidienne. Il n’est pas une succession de parenthèses dans l’organisation cyclique de la vie. Il est une des dimensions essentielles de la vie sociale qui est l’écrin de toute vie, car l’être humain est, par nature, disait Aristote, sociable. Par son travail, pour lequel il est rétribué, il apporte aussi sa contribution à la société. Le travail est ainsi une composante irréductible de son bien-être, donc de sa santé.

Et pourtant le travail est lourd d’enjeux éthiques. Parmi eux, deux méritent une attention particulière.

  • Le premier concerne la fonction sociétale de l’être humain au travail. Peut-il n’être qu’un instrument, un moyen au service de la société ? Certes, la vie sociale implique des missions diverses nécessaires pour organiser la vie commune. L’ébéniste qui fabrique un meuble, le boulanger qui fait du pain, le maçon qui construit la maison, le professionnel de santé qui dispense des soins sont à leur manière des instruments au service d’autrui. Mais ne peuvent-elles que des instruments anonymes dont seul le travail compte. C’est Emmanuel Kant qui avait fait la proposition suivante formulée de manière impérative : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen »[1]. Kant rappelle donc d’abord que chaque personne est représentative de l’humanité tout entière, y compris sa propre personne. Certes Kant n’exclut pas qu’une personne puisse être traitée comme un moyen à condition toutefois qu’elle soit aussi traitée comme une fin en soi, c’est-à-dire qu’elle compte pour elle-même, comme personne humaine. Le boulanger, le maçon, l’enseignant, le soignant ne sont pas que des instruments à mon service, ils s’inscrivent dans la chaîne de complémentarités qui structurent la société et ils s’y inscrivent avec leur identité, leurs personnes, leurs difficultés, leurs joies aussi. Voilà pourquoi ils ne sont pas que des instruments, mais ils sont, chacune et chacun, une fin en soi. Ces personnes qui servent Autrui, et dont on peut même considérer qu’elles servent à Autrui ne sont pas pour autant asservies. Ces personnes qui tirent bénéfice des compétences d’autrui doivent le faire sans les asservir[2] . Le règne des fins appelle à une reconnaissance mutuelle d’une société solidaire, ce qui est un des éléments qui conditionne le bien-être au travail.
  • Le second enjeu éthique concerne l’intérêt et le sens du travail. Notre société a beaucoup évoqué au cours des dernières années l’épuisement au travail désigné sous le nom de « burn-out». Mais c’est à juste titre que le Bulletin officiel de l’éducation nationale et tout particulièrement sa commission d’enrichissement de la langue française explicitait d’autres conséquences négatives du travail enfermées dans des anglicismes qui méritent d’être médités[3]. Il s’agit d’abord du « bore-out » que l’on peut traduire par ennui au travail et qui se caractérise par une perte d’intérêt professionnel qui est provoquée chez une personne par une quantité de travail insuffisante ou par l’accomplissement de tâches monotones ou répétitives. Le second terme est celui de « brown-out » ou « perte du sens de son travail » qui est une perte d’intérêt professionnel qui est provoquée chez une personne par l’incompréhension de la finalité de son travail, voire par le sentiment de son absurdité. L’ennui au travail et la perte de sens du travail peuvent concourir à l’épuisement du « burn-out ». La pénibilité au travail doit d’abord se juger sur l’intérêt du travail et sur la conviction qu’il n’est pas qu’un facteur de subsistance, mais qu’il donne sens à la vie. Telles sont quelques conditions peu souvent évoquées, mais nécessaires au bien-être au travail qui doit élever l’être humain afin qu’il puisse servir sans se sentir asservi.

[1] Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, trad. par Victor Delbos (Paris : Librairie Delagrave, 1991).

[2] Distinction proposée par Victor Delbos dans ses notes et notamment la note 133 de l’ouvrage cité en note1.

[3] n° 34 du 14 septembre 2023

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