Conte : Le Noël de grand-mère

Conte : Le Noël de grand-mère

Roger Gil. Billet éthique, 18 décembre 2024, 151

    Grand-mère ne viendra pas à la maison pour Noël. Maman m’a dit que ce n’était plus possible parce qu’elle était en maison de retraite. C’est vrai que maman a eu peur l’été dernier. Un jour qu’il faisait chaud, elle était passée voir grand-mère comme elle le fait chaque samedi matin, parce qu’elle ne travaille pas ce jour-là. Grand-mère vit toute seule depuis que grand-père est mort l’année dernière. Je ne sais pas comment il est mort, sinon que c’était un matin et que tout s’est passé d’un coup. Maman a été retournée, mais elle m’a dit que c’était quand même une belle mort parce qu’il n’avait pas souffert. Je n’ai pas bien compris que maman puisse parler d’une belle mort, mais elle doit avoir ses raisons. Il n’empêche que depuis, grand-mère n’allait pas bien. Des fois elle parlait de grand-père comme s’il était encore vivant. Une nuit maman lui a proposé de passer la soirée à la maison. Grand-mère était contente, papa et maman aussi, et moi aussi bien sûr. La nuit j’ai entendu du bruit et grand-mère qui parlait. Je me suis levée et je l’ai vue qui essayait d’ouvrir la porte. Elle disait : il va m’attendre, c’est maintenant l’heure où il va rentrer. Elle ne semblait même pas me reconnaître. Maman s’est levée. Et d’après ce qu’elle disait à grand-mère et que grand-mère lui répondait, j’ai compris que grand-mère voulait partir parce qu’elle croyait que grand-père l’attendait dans sa maison. Elle avait oublié que grand-père était mort. Je ne savais pas que l’on pouvait oublier des choses aussi importantes, surtout qu’elle paraissait sûre d’elle. Maman était bien ennuyée, mais je crois qu’elle ne lui a pas dit que grand-père était mort sans doute parce qu’elle a eu peur que grand-mère ait trop de peine. Je crois même qu’elle lui a dit tout simplement qu’il faisait nuit et que demain elle l’accompagnerait chez elle. Grand-mère a dû croire qu’elle allait retrouver grand-père et elle a accepté de se recoucher. Le reste de la nuit a été calme, mais je sentais que quelque chose d’important s’était passé. Le lendemain grand-mère est repartie. Je n’ai pas bien compris ce qui s’est passé après, mais je crois que les voisins ont dit à maman que depuis quelques mois, grand-mère laissait sa maison allumée toute la nuit, qu’elle ne savait plus comment payer quand elle faisait ses courses. D’ailleurs, maman avait trouvé beaucoup de désordre dans son frigidaire où grand-mère rangeait le sel et le poivre, ce qui l’avait inquiétée. Quelques semaines plus tard, maman et papa parlaient et j’ai compris alors que le docteur avait dit qu’elle avait une maladie du cerveau, celle qu’on appelle un Alzheimer. Ça ne datait sans doute pas d’hier, mais tant que grand-père était de ce monde, la maladie de grand-mère ne se voyait pas.

Tout cela m’a fait beaucoup de peine. Le 20 décembre, maman a invité des copines pour mon anniversaire. On s’est bien amusé. Quand elles sont parties, j’ai demandé à maman et à papa d’aller voir grand-mère avant Noël. Ils n’étaient pas trop d’accord, mais ils m’ont quand même amené ce samedi avant Noël.

Dans la maison de retraite, il y avait dans l’entrée un grand sapin plein de guirlandes. Il y avait même une crèche, mais il n’y avait pas encore de bébé dans la mangeoire. Il y avait un bœuf, un âne, et même des moutons et deux bergers parce qu’une crèche, c’est une étable et le bébé n’était pas encore né, mais je sentais bien qu’on l’attendait. Et dans une salle grand-mère était assise avec d’autres personnes. Il y avait même deux clowns qui jouaient de la musique et il y avait des gâteaux sur les tables. Et des personnes chantonnaient pendant que les clowns jouaient parce que ça devait leur rappeler des airs d’autrefois. Maman m’a dit que c’était une petite fête pour grand-mère et les autres personnes de la maison de retraite. On s’est assis à côté de grand-mère, j’ai bu un chocolat chaud. Grand-mère me souriait d’une drôle de manière.

La fête n’a pas été très longue. Avec maman et papa, on a ramené grand-mère dans sa chambre. Et c’est alors que grand-mère m’a dit : « Comment tu t’appelles ? Tu es bien mignonne » ! J’ai cru que grand-mère m’avait oublié, mais en même temps elle m’a pris la main en la serrant dans la sienne et j’ai vu qu’elle avait deux grosses larmes qui coulaient de ses yeux. Puis maman a dit qu’il ne fallait pas fatiguer grand-mère et nous sommes repartis.

Ce soir, c’est Noël. À table avec la famille, maman a dit un mot de grand-mère. Elle disait même que grand-mère m’avait oubliée. Je n’ai rien dit parce que je ne suis pas une grande personne. Maman et papa ont même répété plusieurs fois que dans l’Alzheimer on finit par tout oublier. Mais moi je n’en suis pas sûre. Grand-mère n’avait pas oublié grand-père puisqu’elle voulait le revoir la nuit où elle avait couché à la maison. Elle avait juste oublié qu’il était mort. Grand-mère avait oublié mon nom, mais j’ai vu qu’elle avait pleuré en me prenant la main et en la serrant. J’ai compris qu’elle était triste d’être en maison de retraite, mais j’ai senti qu’elle m’aimait toujours. En tout cas, elle n’avait pas oublié de m’aimer.

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