Singes transgéniques « humanisés » à l’intelligence augmentée : est-ce éthiquement acceptable ?

Singes transgéniques « humanisés » à l’intelligence et augmentée : est-ce éthiquement acceptable ?

Roger Gil, Billet éthique; 1' octobre 2024, 45i

   Les chercheurs des pays « développés » et tout particulièrement les chercheurs chinois sont manifestement décidés à utiliser sans réticence le singe pour mener des expérimentations visant à créer des modèles animaux susceptibles de rendre compte du développement et du fonctionnement du cerveau humain. Il s’agit d’utiliser des singes conçus de manière naturelle ou clonés, pour modifier leur génome en y introduisant des gènes humains susceptibles d’intervenir dans le développement du cerveau humain. Ces singes transgéniques sont ensuite élevés quelque temps, sont soumis à quelques tests cognitifs voire à des examens d’imagerie cérébrale puis sont sacrifiés afin d’examiner certaines caractéristiques du développement de leur cerveau. De telles expériences ont eu lieu surtout en Chine, mais aussi en Allemagne et au Japon en 2019[1], 2020[2], 2023[3]. Elles ont montré effectivement certaines modifications rapprochant le développement du cerveau du singe de celui du cerveau de l’être humain, comme une plus grande lenteur de développement du cerveau, un développement plus important qui peut conduire le cerveau à se plisser comme celui de l’être humain, une augmentation de certaines populations neuronales, une amélioration de la connectivité cérébrale.

Ces modifications développementales, anatomiques, histologiques, neurophysiologiques ont pu s’accompagner d’un accroissement de certaines capacités cognitives comme la mémoire à court terme, les temps de réaction[4], la programmation motrice[5]. Ces recherches encore à leurs balbutiements doivent-elles être poursuivies ? Certes on a pu écrire que ces recherches éclairent sur la manière dont des mécanismes moléculaires pilotant le développement du cerveau humain peuvent faire évoluer le cerveau de primates ancestraux jusqu’à pénétrer dans la complexité du cerveau humain. Mais parallèlement ces recherches visent à transférer de l’être humain au singe des traits humains, ce qui a été appelé une humanisation du cerveau du singe, mais quel est l’intérêt d’améliorer marginalement l’efficience cognitive des singes ? Quel serait l’intérêt pour l’être humain de telles recherches ? Valent-elles de sacrifier sans limites des primates non humains? Quels serait pour l’humanité les risques de telles recherches dès lors qu’elles tendraient à introduire dans le patrimoine génétique des singes, des traits cognitifs, émotionnels, comportementaux humains. Est-il souhaitable que par des manipulations biologiques les chercheurs créent des êtres hybrides entre l’animal et l’être humain. Des chercheurs peuvent-ils s’arroger le droit ou courir le risque de bouleverser les distinctions génétiques entre les êtres vivants ? Que peut-on espérer en trames de mieux-être pour l’humanité ? Certes le questionnement est complexe[6]. En outre, à côté des modèles animaux de fonctionnements cérébraux normaux, reste la question de l’intérêt de modèles animaux de maladie d’Alzheimer, de maladie de Parkinson, de l’autisme, de troubles des rythmes veille-sommeil[7]. Ne serait-il pas temps d’organiser des rencontres scientifiques qui auraient pour but de faire le point sur ce que la science peut attendre aujourd’hui des recherches sur l’animal en fonction des pathologies, des avancées attendues et aussi des espèces animales soumises à l’expérimentation. Mais on sait que la concurrence scientifique internationale est rude (Publish or perish !) et que ce que l’on appelle les « avancées scientifiques » font de l’éthique un continent brumeux aux repères instables d’un pays à l’autre et au sein d’un même pays. Ne faudrait-il pas assigner des limites aux pouvoirs que les êtres humains s’arrogent sur les animaux et sur les animaux dont ils sont les plus proches. Suffit-il comme on peut le lire que 25 millions d’années séparent le surgissement sur terre des primates non humains et des primates humains pour légitimer l’utilisation large des singes dans l’expérimentation scientifique[8] au motif qu’ils sont temporellement très distants de l’humanité? À côté des droits de l’homme, ne serait-il pas temps de repenser les droits des animaux dont l’humanité en général et le monde scientifique en particulier sont comptables ? Car c’est dans ce cadre qu’il faudrait construire une déontologie de l’expérimentation animale dont l’ambition devrait, comme les droits de l’homme et les droits de la nature, viser l’universel. Nous en sommes encore très loin !

[1] Lei Shi et al., « Transgenic Rhesus Monkeys Carrying the Human MCPH1 Gene Copies Show Human-like Neoteny of Brain Development », National Science Review, 27 mars 2019, https://doi.org/10.1093/nsr/nwz043.

[2] Michael Heide et al., « Human-Specific ARHGAP11B Increases Size and Folding of Primate Neocortex in the Fetal Marmoset », Science (New York, N.Y.) 369, no 6503 (31 juillet 2020): 546‑50, https://doi.org/10.1126/science.abb2401.

[3] Xiaoyu Meng et al., « Brain developmental and cortical connectivity changes in transgenic monkeys carrying the human-specific duplicated gene SRGAP2C », National Science Review 10, no 11 (1 novembre 2023): nwad281, https://doi.org/10.1093/nsr/nwad281.

[4] Shi et al., « Transgenic Rhesus Monkeys Carrying the Human MCPH1 Gene Copies Show Human-like Neoteny of Brain Development ».

[5] Meng et al., « Brain developmental and cortical connectivity changes in transgenic monkeys carrying the human-specific duplicated gene SRGAP2C ».

[6] On sait que la carence en organes à greffer stimule des recherches visant à « humaniser » des organes animaux comme le cœur de porcs afin de disposer de sources nouvelles d’organes et de surmonter les réactions de rejet tout comme la transmission à l’être humain de virus animaux

[7] Peiyuan Qiu et al., « BMAL1 Knockout Macaque Monkeys Display Reduced Sleep and Psychiatric Disorders », National Science Review 6, no 1 (1 janvier 2019): 87‑100, https://doi.org/10.1093/nsr/nwz002.

[8] Shi et al., « Transgenic Rhesus Monkeys Carrying the Human MCPH1 Gene Copies Show Human-like Neoteny of Brain Development ».

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