Accompagnement de la maladie de Charcot : quand une loi veut aider les personnes malades à vivre
Roger Gil; Billet éthique; 18 octobre 2024; 146
Il est des moments, des moments si rares dans l’actualité politique où le temps des querelles partisanes, des incantations et des clivages s’efface pour enfin renouer avec un frémissement d’humanité dont les vibrations croissent dès lors que la vulnérabilité humaine s’incarne, appelle à la compassion, au partage et permet enfin de ressentir au plus profond de soi ce qu’est l’authentique fraternité. Ce fut le cas ce mardi 15 octobre quand le sénateur Gilbert Bouchet, en fauteuil roulant, appareil d’assistance respiratoire mobile sur le haut de son visage, parlant d’une voix faible dans un silence qui donnait à son élocution laborieuse un relief émouvant, est venu, au Sénat, dans l’hémicycle. Il est venu défendre sa proposition de loi pour une prise en charge –une prise en soins devrait-on dire – plus rapide, plus réactive des personnes atteintes de maladie de Charcot ou sclérose latérale amyotrophique (SLA), maladie paralysante dont lui-même est atteint. Il mène, dit-il, un combat pour que les aides médico-sociales nécessaires à l’amélioration des conditions de vie des personnes malades s’adaptent à la temporalité de la maladie. En effet, les demandes d’obtention de la prestation de compensation du handicap (pour permettre par exemple l’achat d’un fauteuil roulant, une adaptation du véhicule, du logement, le recours à des aides humaines) qui relèvent de l’évaluation de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées)[1] demandent des délais certes variables, mais qui peuvent s’élever à six, voire neuf mois[2]. Or le traitement de ces demandes dès lors qu’elles sont intégrées dans toutes les autres demandes de personnes en situation de handicap, ne correspondent pas à la temporalité de la maladie dont l’espérance de vie est en moyenne de 2 ans[3]. Il existe certes des procédures d’urgence, mais qui sont inégalement appliquées d’un département à l’autre.
En outre la loi traite de manière inégale les personnes en fonction de l’âge. En effet la prestation de compensation du handicap (PCH)[4] est réservée aux personnes de moins de 60 ans alors qu’au-delà de cet âge, les citoyens sont catégorisés dans le champ de la vieillesse et doivent demander alors comme toutes les personnes qualifiées d’âgées, une autre forme d’aide qui est l’APA, allocation personnalisée d’autonomie. Or l’APA est plus défavorable, car elle est soumise à une grille d’évaluation du niveau de perte d’autonomie (grille dite AGGIR) peu adaptée aux maladies assez rapidement évolutives et offrant des prestations beaucoup moins favorables. Or près de 80 % des patients ont plus de 60 ans. L’Association pour la recherche sur la sclérose latérale amyotrophique (ARSLA) évalue le reste à charge totale sur les aides techniques à 8 000 euros dans le cadre de la PCH et 16 000 euros dans le cadre de l’APA.
Même si toute législation est animée par une intention de justice, elle peut manquer ce qui doit être sa raison d’être : veiller à un traitement égal des personnes vulnérables, s’adapter à la situation concrète de personnes ou de groupes de personnes en fonction de leurs besoins. Le premier point est le traitement inégal des personnes de moins de 60 ans et de plus de 60 ans : serait-ce une forme d’âgisme dans une société qui se proclame inclusive. Il s’agit en tout cas d’une injustice « légale », étrange oxymore ! Le second point, sur le plan éthique, est que la justice ne peut se résumer comme l’avait souligné le rapport Belmont en 1978[5] au seul adage qui serait « une part égale pour tous », ce qui voudrait dire ici les mêmes prestations pour le même handicap. Cette manière de voir ne tient pas compte du tempo évolutif du handicap. Aussi la justice doit aussi être : « à chacun selon ses besoins » et c’est alors que l’on passe de la justice à l’équité.
La proposition de loi du sénateur Gilbert Bouchet vise à remédier à cette situation inéquitable en permettant un accès rapide aux aides pour les personnes atteintes d’une maladie évolutive grave et donc essentiellement (et non exclusivement la SLA). Ces malades bénéficieront d’une procédure dérogatoire : un membre de l’équipe de la MDPH, sur prescription médicale ou d’un ergothérapeute, proposera directement à la CDAPH (Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées) les aides nécessaires à la compensation du handicap.[6] En effet, au sein de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) décide des droits de la personne handicapée. Par ailleurs, la PCH serait ouverte à ces malades qu’ils aient moins ou plus de 60 ans.
Cette proposition de loi « pour améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique et d’autres maladies évolutives graves » a été adoptée par le Sénat à l’unanimité[7]. Elle va maintenant suivre la procédure législative et être examinée par l’Assemblée nationale.
Le sénateur Bouchet déclarait au sénat : « lorsque la maladie vous tombe dessus, il faut la combattre et c’est ce que j’essaie de faire ». Il a remercié chaleureusement ses collègues de ce vote qui le rendait « heureux ».
Il a fallu l’expérience personnelle du sénateur Bouchet pour prendre conscience qu’aider les personnes malades à vivre atteste de manière unanime et émouvante d’une société fraternelle qui se trouve capable de parler d’une seule voix : la voix de la sollicitude et de l’équité.
[1] https://www.senat.fr/salle-de-presse/communiques-de-presse/presse/05-06-2024/la-commission-des-affaires-sociales-du-senat-adopte-une-proposition-de-loi-pour-ameliorer-la-prise-en-charge-sociale-de-la-maladie-de-charcot.html
[2] avec un délai moyen de 5 ?9 mois selon la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), baromètre des MDPH, 4 e trimestre 2023
[3] 10 à 15 % ont une durée de vie supérieure à 5 ans après le diagnostic, 5 % ont une durée de vie supérieure à 10 ans. Source : filière FilSLAN
[4] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F14202
[5] https://irb.wisc.edu/regulatory-information/belmont-report/
[6] donc de ce qu’on appelle le plan de compensation du handicap (dès l’ouverture des droits et lors de ce qu’on appelle ses adaptations)
[7] 335 voix/335. https://www.senat.fr/scrutin-public/2024/scr2024-8.html
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