Cloner des animaux et des singes : une éthique confinée dans un murmure approbatif

Cloner des animaux et des singes : une éthique confinée dans un murmure approbatif

Roger Gil. Billet éthique, 5 octobre 2024, 144

     Si le clonage reproductif humain est universellement interdit chez les êtres humains, force est de constater qu’il continue à être utilisé avec ferveur dans le monde animal. Clonage : il s’agit donc de transférer le noyau d’une cellule adulte dans un ovule énucléé. Ce transfert nucléaire crée ainsi une entité biologique dont le statut interroge[1]. En effet, il ne s’agit pas d’un embryon puisque la création de cette entité ne procède pas de la fusion d’un ovule et d’un spermatozoïde. Mais il s’agit d’un embryon puisque cette cellule va se multiplier en lignées différenciées comme un embryon et l’on pourra à partir d’elle, obtenir des cellules souches : c’est le clonage thérapeutique. De plus si on implante cette cellule dans un utérus, elle pourra aboutir à la naissance d’un individu strictement semblable génétiquement à l’individu dont est issu le noyau de la cellule adulte ; l’individu qui naîtra sera ainsi un clone. C’est ainsi qu’en 1996 est née la brebis Dolly, premier mammifère cloné à partir du noyau d’une cellule de glande mammaire d’une autre brebis nommée Belinda. Mais le destin de Dolly ne fut pas celui d’une brebis normale, car au lieu de vivre une douzaine d’années, elle vieillit prématurément et mourut à moins de 7 ans[2].

Or si le clonage reproductif est unanimement réprouvé chez l’être humain, pourquoi l’utiliser chez l’animal ? Le clonage vit ses premières applications dans les élevages de chevaux de course. Le but est bien sûr d’abord de tenter de reproduire des copies de champions et notamment de chevaux castrés, les hongres. Après des réticences, les clones sont maintenant inscriptibles sur les registres généalogiques de certaines races, ce qui leur permet de participer aux compétitions officielles. Certes les clones peuvent aussi être utilisés pour la sauvegarde d’espèces animales ou de races en voie de disparition. Mais reste surtout, notamment chez les bovins et les ovins, l’utilisation de clones dans la chaîne alimentaire qu’il s’agisse de clones fournisseurs de viande ou de produits laitiers. Si l’utilisation directe des clones reste encore interdite, les recherches effectuées par l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments n’ont pas montré de différences significatives au point de vue alimentaire entre les clones et les animaux témoins. Dès 2003, la Food and Drug Administration aux États-Unis, ne voyait d’ailleurs pas d’objection à l’introduction des clones dans les circuits alimentaires. Restent les clonages effectués chez les singes. Ainsi, en 2019,une équipe affiliée principalement à l’Institut de zoologie de Kunming a publié dans le NSR (National Science Review), revue de l’académie chinoise des sciences[3], un article décrivant l’introduction, par un vecteur viral[4], dans le génome de onze singes clonés[5], d’un grand nombre de copies du gène MCPH1 humain afin de modifier le développement du cerveau des singes et améliorer leurs performances cognitives[6]. Un autre travail chinois publié en 2014 rappelait que la technologie de transfert nucléaire de cellules somatiques (SCNT) a été largement utilisée pour le clonage de diverses espèces de mammifères, notamment les moutons, les bovins, la souris, le porc, la chèvre, le lapin et le chien. Ce même travail décrivait une « stratégie prometteuse » pour améliorer la viabilité et l’espérance de vie de singes macaques rhésus clonés[7].

Effectivement la mortalité des embryons clonés reste importante, de même que la mortalité périnatale [8]. Les clones nouveau-nés sont souvent gros, et la naissance des clones doit se faire par césarienne, le travail ne se déclenchant pas physiologiquement. Le clonage est donc un facteur de souffrance animale. En réduisant la diversité génétique, le clonage peut aussi favoriser l’expression de maladies transmissibles[9]. Mais, même si la préservation de races animales ou la perspective de profit liés au monde des courses de chevaux et de l’industrie agroalimentaire rendent compte de la poursuite des études et publications technoscientifiques sur le clonage animal, comment expliquer la multiplication des recherches sur le clonage thérapeutique des primates non humains et donc de singes rhésus et macaques, domaine dans laquelle la Chine veut « exceller »[10]. Même si le clonage n’occupe plus la une des médias, cette utilisation des animaux, en dépit de leurs souffrances, est-elle éthiquement acceptable alors que les objectifs à moyen et à long terme de ces recherches ne font même plus l’objet de débats et que persiste de manière rampante le spectre de l’extension du clonage thérapeutique aux êtres humains. Quand donc ces recherches s’accompagneront-elles non pas de la simple indication d’une mention favorable d’un comité d’éthique, mais de la publication, avec l’article scientifique, d’un avis circonstancié sur les avantages et les risques de ces recherches pour l’être humain, mais aussi l’ensemble du monde des vivants ? Il faut que l’éthique de la recherche cesse d’être confinée dans un murmure approbatif inaudible pour qu’advienne enfin un authentique droit de parole.

[1] Henri Atlan. Clonage thérapeutique : gardons-nous des fantasmes. Le Monde,                 

[2] https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/vie-mort-dolly-premiere-brebis-clonee-1709/

[3] Lei Shi et al., « Transgenic Rhesus Monkeys Carrying the Human MCPH1 Gene Copies Show Human-like Neoteny of Brain Development », National Science Review, 27 mars 2019, https://doi.org/10.1093/nsr/nwz043.

[4] et en l’occurrence un lentivirus (qui est un rétrovirus comme le virus du SIDA), qui est un vecteur dit intégratif, car il pénètre dans le noyau des cellules et s’incorpore son ADN (qui contient le gène MCPH1 ou microcéphaline) dans les chromosomes, donc dans l’ADN de l’hôte. Le génome ainsi transformé est transmissible à la descendance.

[5] Il s’agit de singes rhésus ou macaques (Macaca mulatta)

[6] Voir Roger Gil. Singes transgéniques en Chine et intelligence humaine : est-ce éthiquement acceptable ? Billet éthique ; 3 mai 2019

[7] Zhaodi Liao et al., « Reprogramming Mechanism Dissection and Trophoblast Replacement Application in Monkey Somatic Cell Nuclear Transfer », Nature Communications 15, no 1 (16 janvier 2024): 5, https://doi.org/10.1038/s41467-023-43985-7.

[8] Ceci explique que dans le travail cité ci-dessus, sur 113 « embryons » obtenus par transfert nucléaire, les auteurs ont transféré 11 embryons reconstruits à 7 mères porteuses. Grâce à un examen échographique, ils ont observé que deux des mères porteuses étaient tombées enceintes , l’une d’elles portant des jumeaux. Malheureusement, les fœtus jumeaux ont été avortés au jour 106 de la gestation et aucun tissu fœtal n’a été prélevé. Cependant, un singleton mâle en bonne santé est né avec succès au jour 157 et a bien survécu pendant plus de 2 ans depuis lors. Ces mêmes auteurs rappellent que dans les méthodes de clonage conventionnelles, les taux de naissance vivante pour la plupart des espèces de mammifères sont extrêmement faibles, allant de 1 % à 3 %, avec des taux légèrement plus élevés observés pour les bovins (5 % à 20 %)

[9] Roger Gil, Les grandes questions de bioéthique au XXIème siècle dans le débat public, les chemins de l’éthique (Bordeaux: LEH éditions, 2018).

[10] Les auteurs du travail cité plus haut écrivent que « les singes utilisés dans cette recherche proviennent de l’installation NHP du Centre d’excellence en sciences du cerveau et technologies de l’intelligence de Shanghai, en Chine. Toutes les procédures animales ont respecté les directives établies par les comités d’utilisation et de soins des animaux de l’Institut des sciences biologiques de Shanghai, de l’Académie chinoise des sciences (CAS) et de l’Institut des neurosciences, Centres d’excellence en sciences du cerveau et technologies de l’intelligence de la CAS. La demande approuvée par les comités est intitulée « Recherche sur la construction d’un modèle animal de macaque par transfert nucléaire de cellules somatiques »

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