L’éthique environnementale à la source de la bioéthique
Roger Gil. Billet éthique, 31 mai 2019/2024
Evoquer le concept d’éthique en santé environnementale conduit d’abord à revenir à la source même de ce que le terme d’éthique désignait à sa naissance. Il est habituel d’attribuer la paternité du mot bioéthique (éthique du bios, éthique du vivant) à Van Rensselaer Potter (1911-2001) Oncologiste à l’université du Wisconsin (USA), il publia en 1971 un livre intitulé « La Bioéthique: un pont vers le futur ». Le mot composé est alors créé et souhaite ainsi unir les progrès des connaissances des sciences de la vie et les valeurs humaines, et témoigner « d’une espèce humaine acceptant sa responsabilité dans sa propre survie et dans la préservation de son environnement naturel »[1]. L’auteur veut se tenir à distance des discours philosophiques abstraits »[2] pour se centrer sur la survie de l’homme et sur les conditions d’une survie « acceptable En fait ce fut donc secondairement que la bioéthique se vit restreinte à l’éthique biomédicale ou éthique des sciences et techniques de la vie et de la santé comme si la vie humaine pouvait être envisagée de manière isolée en oubliant son environnement. Il faut dire que les sciences et techniques de la vie et de la santé vivaient un moment de reconfiguration profonde qui s’imposa comme une nécessité. Elle tenait d’abord dans le procès de Nuremberg, institué en 1946 pour juger les criminels de guerre nazis et qui révéla l’insoutenable atteinte à la dignité humaine des campagnes de stérilisation de malades mentaux, de recherches scientifiques impitoyables pratiquées dans les camps de concentration. On dut alors réaliser que « tout ce qui est scientifique n’est pas éthique », que ce qu’on appelait encore la morale ne pouvait s’appliquer indistinctement à la science et aux technologies qu’elle suscitait. Les juges de Nuremberg, ce que ne fit aucun autre tribunal, établirent alors un « code » qui reconnaissait que la médecine ne pouvait progresser sans expérimenter mais que la recherche se devait de respecter la dignité de la personne humain. Ce fut avant que le mot ne soit créé l’acte de naissance de la bioéthique et en même temps le décloisonnement de la recherche qui désormais devait être considérée comme comptable devant la société tout entière. Les démocraties pluralistes durent aussi prendre conscience des errements moraux de certaines de leurs propres recherches effectuées souvent sans consentement ou avec un vague assentiment obtenu après des informations sommaires. Parallèlement après la fin de la deuxième guerre mondiale, la médecine fit, après la pénicilline, des progrès inédits, plus importants dans les tente ans qui suivirent que dans les deux mille ans précédents : ces progrès bouleversèrent les repères moraux traditionnels car la morale ne pouvait répondre à des questions qui ne posaient pas. La bioéthique fut ainsi d’abord une éthique de la recherche et de la pratique des soins, une éthique de la médecine curative.
Mais l’homme vit dans un environnement, constitué de toute la nature. Une vision éthique « écocentrée » propose même, dans la lignée de l’œuvre d’Aldo Leopold[3], l’inclusion de l’homme dans une communauté « biotique » rassemblant tous les « systèmes naturels » considérés comme interdépendants, ce qui impose la préservation et le respect de chacun d’eux. En deçà de cette éthique globale de la Terre et en revenant sur le concept de survie de l’être humain évoqué par Van Rensselaer Potter, il est nécessaire d’effectuer une première prise de conscience : l’environnement, s’il est utilisé sans discernement par les êtres humains, peut mettre en danger leur santé. Ainsi en est-il par exemple de la présence polluante dans l’eau de perturbateurs endocriniens et de leurs conséquences sur la santé humaine[4].
L’éthique environnementale, centrée sur la santé, a donc pour mission de veiller à ce que les activités humaines en détériorant l’environnement, ne retentissent secondairement sur la mortalité, la morbidité et plus généralement le bien-être des êtres humains. Le réchauffement climatique en est un autre exemple. La fragilité de la nature et la fragilité humaine ont ainsi partie liée. Ce constat impose un travail de discernement permettant aux peuples de mettre en œuvre des mesures performatives, le terme de peuple dans des démocraties pluralistes visant et le pouvoir politique et la conscience des citoyens.
[1] Potter Van Rensselaer, Global Bioethics: Building on the Leopold Legacy (East Lansing, Mich: Michigan State University Press, 1988). p. 153-154.
[2] Op.cit. p. 2
[3] Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables ; suivi de Quelques croquis, trad. par Anna Gibson (Paris: Flammarion, 2000).
[4] ce qui constitue un thème central de la recherche en santé environnementale menée par l’équipe interdisciplinaire du Centre d’Investigation Clinique de Poitiers, CIC 1402, Axe Santé environnementale, Perturbateurs endocriniens, exposome : http://cic0802.labo.univ-poitiers.fr/axes-de-recherche/axe-6/