Le cerveau gastronome ou une éthique de la commensalité

Le cerveau gastronome ou une éthique de la commensalité

A propos de l’ouvrage « Le cerveau gastronome », éditions L'Harmattan, Paris, 2022 : classé premier dans la catégorie Médecine et Nutrition par le Concours international Gourmands Awards en novembre 2023

Roger Gil. Billet éthique, 1 février 2024, 128

L’ouvrage « Le cerveau gastronome » permet de rappeler les liens entre la gastronomie et l’éthique. Il faut sans doute évoquer cette étape d’humanisation, franchie quand celui qui n’était encore qu’homo erectus, voici près de 2 millions d’années est devenu homo coquus, capable de faire cuire ses aliments ; ainsi fut puverte la voie à  il passait ainsi de la simple activité nutritive, de cueillette, de chasse, de pêche qui comme les grands singes l’occupaient une grande partie de la journée aux repas partagés grâce à une alimentation plus comestible, grâce à une meilleure conservation des préparations alimentaires. Les repas ont ainsi concentré une dimension nouvelle de la sociabilité humaine : se réunir certes pour se nourrir mais aussi pour goûter aux aliments, pour affiner le plaisir de manger, pour en parler ensemble, pour cultiver ces liens qui se créaient entre les repas, les émotions, la mémoire, le langage. Et c’est tout naturellement que les êtres humains ajoutèrent aux repas familiaux ordinaires, les repas festifs, ceux des grands évènements familiaux, anniversaires, mariage, et ceux des fêtes collectives : Noël et le Nouvel an sont de celles-là. On sait aussi l’importance dans toutes les religions de ces repas partagés et les nombreux symboles auxquels ils renvoient. Les repas sont ainsi des facteurs de reliance et de fraternité.

La gastronomie est aussi un  chemin d’accès à la vulnérabilité, à celles et à ceux qui, pour des raisons médicales ou sociales (précarité, vieillesse) ou les deux à la fois pourraient être exclus de ces moments de partage. La gastronomie invite à la sollicitude, à l’attention à Autrui, à ouvrir de mille manières les cœurs et les portes, à inventer des lieux ou des moments ou des personnes lointaines, étrangères, se rapprochent, se découvrent proches dans la joie de cette variante de la fraternité qu’est la commensalité. Dans les hôpitaux et les structures d’accueil médico-sociales, les fêtes de fin d’année sont l’occasion de repas dits améliorés qui veulent en quelque sorte dépasser leur fonction nutritive, celle des besoins biologiques fondamentaux pour mobiliser le goût et les émotions qui accompagnent ces saveurs d’autant plus précieuses qu’elles peuvent être considérées tout au long des jours comme secondaires par rapport aux besoins nutritifs calculés techniques en une myriade de paramètres comme l’apport calorique, les segmentation protides, glucides, lipides, les vitamines, les oligo-éléments et que sais-je encore ! Mais dans la vie quotidienne certaines maisons de retraite que l’on appelle en France des ehpad ont découvert ces « bouchées » mises à la disposition des personnes âgées dont les repas, surtout celui du soir, sont avancés à des horaires de fin d’après-midi et au cours desquels l’alimentation des résidentes et des résidents peut se heurter à des conduites d’opposition des uns auxquels répondent des attitudes de persuasion et d’injonction de personnels soucieux de bien faire mais ne sachant comment faire pour surmonter des refus qui les culpabilisent. Ces bouchées inspirées de la cuisine moléculaire font exploser de nombreuses saveurs : elles peuvent être prises avec une fourchette ou avec les doigts et elles sont laissées à disposition des personnes âgées. Elles peuvent ainsi prendre et laisser fondre dans leur bouche des bouchées de céleri rémoulade, de pâté de campagne, d’avocat surimi, de blanquette de veau, de brandade de poisson, de poules rôti, de coquillettes, de champignons, de pizza, de yaourt, de pruneau, de tarte à l’abricot, de compote de fruits[1]. Outre la joie retrouvée dans une autonomie respectueuse des désirs et des besoins de chacun, ces bouchées améliorent la santé des personnes dénutries.

La gastronomie est aussi le chemin qui permet de retrouver le respect de l’environnement. Le chef étoilé Joël Robuchon disait que toute cuisine détruit des vies végétales ou animales qui deviennent des produits et ces produits doivent être respectés. Le Livre « Le cerveau gastronome » montre que les joies de la gastronomie peuvent aussi être un  chemin d’humanisation qui transfigure des besoins archaïques et font de l’hédonisme un affect mobilisateur de l’attention à la Nature et de l’altérité.

[1] Il s’agit de quelques –unes des bouchées proposées à l’ehpad de de Notre Dame de Puyraveau. Voir l’ouvrage de Christophe Favrelière. Bouchées enrichies adaptées : le goût de l’autonomie. 79220 Champdeniers-Saint Denis. 2013.

Première de couverture du livre Le cerveau gastronome de Roger Gil et Robert Franchineau, éditions L'Harmattan
Gourmand Awards 29th 2023 First Best of the world Health, Food & Medicine-Books

Pour en savoir plus, cliquer sur le lien: Roger Gil et Robert Franchineau: Le cerveau gastronome

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