Médecine technique : préserver une relation de parole

Médecine technique : préserver une relation de parole

Roger Gil; Billet éthique; 7 mars 2025, 160

     On sait qu’après la dernière guerre mondiale, et dans les trente ou quarante années qui ont suivi, la médecine a fait plus de progrès qu’au cours des deux mille années précédentes. Et ce de manière exponentielle. Les hôpitaux qui étaient des lieux d’accueil pour les personnes démunies, sont devenus les hauts lieux d’une médecine centrée de plus en plus sur des « plateaux techniques » qui, tels un cœur aspirent et refoulent les malades des lits qui sont, en quelque sorte, disposés en corolle autour de lui. Plateau technique bardé de ses machineries complexes, riche de ses possibilités diagnostiques et thérapeutiques. Juge inanimé dont les décisions pourront rassurer, inquiéter ou désespérer. Mais comment garder alors un lieu où s’exerce la parole ? Reconnaitre les bienfaits des techniques, c’est aussi savoir les dangers qu’elles peuvent sécréter. Elles peuvent conduire à une vision morcelante de l’individu, réduit à une somme d’organes, à explorer un à un. Elle risque de réduire le malade à sa maladie. Elles peuvent aussi être un moyen de préserver quelque peu le médecin et l’équipe soignante, de la déstabilisation émotionnelle que peut provoquer la relation avec le malade, surtout avec le malade gravement atteint. Des examens complémentaires sophistiqués, des thérapeutiques complexes et laborieuses peuvent être un moyen d’échapper quelque peu à l’angoisse que crée chez le soignant comme chez le malade, la maladie et les interrogations qu’elle véhicule. Parler, c’est-à-dire dépasser la technique ou l’intégrer dans la relation à l’autre, n’est-ce pas courir le risque d’être immergé dans un dialogue qu’on craint de ne pouvoir maîtriser ? C’est bien la valeur de la parole comme signe de la relation humaine qu’il s’agit de redécouvrir. « …La parole est présence, nous montrerons… écrivait Jacques Lacan, qu’il n’est pas de parole sans réponse, même si elle ne rencontre que le silence pourvu qu’il y ait un auditeur ». Car la parole est d’abord écoute, mais on ne peut écouter que si on laisse entre soi et l’autre, un espace et un temps où il pourra risquer sa parole au-delà de quelques phrases toutes faites, de quelques formules de confection dans lesquelles se gélifieront ses attentes et ses désirs. Car c’est l’écoute qui, peu à peu, de paroles furtives en paroles furtives, pourra montrer au malade que demeure, au-delà des techniques, un temps et un lieu, où il pourra dire ses angoisses, ses doutes, ses certitudes, ses incertitudes. Le personnel soignant aurait sans doute moins peur de la relation verbalisée s’il savait que la parole est d’abord une écoute prudente. Le soignant, même s’il est à juste titre inquiet de la méconnaissance qu’il peut avoir des pensées et des désirs des malades peut, dans une attitude d’écoute, se contenter initialement de phrases anodines ou furtives. Phrases anodines ou furtives, elles disent pourtant à la personne malade qu’il est considéré comme un Sujet dès lors qu’un Autre s’est arrêté pour l’écouter. Ce qui pose quelqu’un comme sujet c’est précisément d’avoir un auditeur. Tel est le sens profond du mot respect, venu du latin respicio et qui désigne précisément une halte pour porter son regard sur quelqu’un, pour signifier l’attention qu’on lui accorde, l’écoute qui lui est offerte et qui devient sollicitude. C’est cette présence écoutante, attentive à la parole de l’Autre qui ouvre à l’alliance entre deux personnes, l’une malade, l’autre indissolublement soignante et accompagnante et qui ainsi donne ainsi à chacune sa stature et son statut.

Le PDF peut être consulté en cliquant sur le lien suivant:

Médecine technique et relation de parole Billet 160 PDF

Pour écouter la chronique radiophonique, cliquer sur le lien suivant: