Noël: creuset de méditation éthique

Noël : creuset de méditation éthique

Roger Gil. Billet éthique, 24 décembre 2024, 152

    Il existe beaucoup de statistiques sur la fête de Noël. En 2017, 79% des jeunes disaient que c’était une fête pour se retrouver en famille, 23% une fête qui permet de revenir en enfance, 20% une fête commerciale, et 18% une fête religieuse[1]. En 2016, un autre sondage, d’une autre source, visant tous les âges,  retrouvait les mêmes tendances : Noël, une fête familiale  pour 80% des français, le sapin trônait dans deux tiers des maisons, la crèche dans 41% alors que 18% des personnes interrogées envisageaient de se rendre à la messe de minuit[2]. Un sondage récent indique aussi que près de deux tiers des français estiment que la durée des retrouvailles familiales ne doit pas excéder trois jours ; ce qui compte le plus pour 62% des français c’est passer du temps avec ceux qu’on aime, la messe de minuit n’étant citée que par 3% des français, et 22% des catholiques pratiquants ; ce qui pèse le plus est l’absence d’êtres chers, soit par décès, soit en raison de l’éloignement, soit en raison de brouilles familiales (38%), les dépenses excessives, 27% et la perte de la dimension spirituelle de Noël, 8%. Enfin à la question de savoir quand on s’est senti plus heureux de se retrouver en famille pendant les fêtes de Noël, 2/3 des moins de 35 ans disent que c’était pendant leur enfance et deux tiers des plus de 65 ans disent de manière symétrique que c’est quand leurs enfants étaient petits[3].

Certes, Noël est devenu depuis longtemps une fête majoritairement laïque mais il faut noter aussi qu’elle manifeste l’étonnante capacité d’acculturation d’un fait religieux sans doute parce-que, avec ou sans la foi, il est riche de significations anthropologiques et éthiques qui résistent aux dimensions commerciales et oro-alimentaires de la fête.

Noël est la fête de la nuit, fête précédée de l’angoisse, du déplacement de Nazareth à Bethléem, d’un jeune couple dont la femme était enceinte et proche du terme. Le déplacement de ce couple de  Galilée en Judée, à travers la Samarie, fut une marche dont nous ne savons rien sinon qu’elle fut imposée par le pouvoir en place pour des nécessités de recensement. Pour ce couple, le moment fut à l’évidence mal choisi mais il se mit en route, sans doute péniblement et de manière craintive jusqu’au terme du voyage qui fut aussi le terme précipité de la grossesse jusqu’à la quête d’un gîte qui fut trouvé dans une « mangeoire », au milieu d’une « contrée de bergers »[4]. La nuit peut ainsi faire germer l’espérance de l’aboutissement d’une vie nouvelle même dans un contexte chaotique. Noël renvoie ainsi à ces nuits du monde, ces nuits de femmes, d’hommes et d’enfants enfermés dans la crainte, le doute, l’incertitude d’une aube qui semble ne pas finir d’arriver et qui parfois semble ne jamais survenir dans le délai d’une temporalité humaine. Noël offre à méditer sur ces nuits sans fin qui semblent enfermer certains destins, disent la mystérieuse dissemblance des existences humaines et invitent chacun à regarder au-delà de soi-même vers ces autres dont il faut sans cesse apprendre à faire des proches.

Noël est la fête d’une naissance donc de l’enfant. Cet enfant, né dans l’angoisse d’une nuit, fragile mais vivant, et en lequel la foi chrétienne reconnait le fils incarné de Dieu, dit de manière hyperbolique, ce que l’humanité doit d’attention, de tendresse et de respect à l’endroit de tous les enfants qui naissent  et qui chacun à leur manière sont signes d’un monde nouveau qui relaie le monde ancien. Mais que d’enfants abandonnés, délaissés, affamés dans les pays pauvres tandis que les pays riches promeuvent une quête effrénée de techniques biomédicales qui ont progressivement érigé un « droit à l’enfant » qui pourrait être oublieux des droits des enfants comme de la permanence des devoirs à leur égard. Curieux monde devenu si esclave de la biologie qu’il en oublie que la filiation se fonde dans une relation dans laquelle l’ADN  n’est ni la condition nécessaire ni la condition suffisante car toute filiation authentique est une filiation adoptive. Le fils ou la fille ne sont pas d’abord l’enfant exigé mais l’enfant accueilli. Certes les français ne sont pas naïfs. Ils ne brossent pas de la famille un tableau obligatoirement idyllique : ils ne plébiscitent pas des retrouvailles interminables, ils connaissent les tensions qui habitent les familles, ils regrettent les coûts dispendieux générés par les fêtes. Noël s’inscrit dans les ponctuations de la vie familiale et sociale, une ponctuation majeure qui dit à chaque être humain que son avenir tient dans la famille qui l’a accueilli, dans l’enfant qu’il a été. Mais son avenir ne tient pas d’abord à la réalisation égoïste du désir de ses parents, parfois moulé dans les « représentations préfabriquées » de biotechnologies de plus en plus invasives. Il tient d’abord à son « pouvoir-être » [5] et à la liberté qui lui est laissée, appuyée sur son éducation, de cheminer vers son accomplissement.

Car à Noël culminent la fragilité et la vulnérabilité. Le contexte, les conditions, le lieu de la naissance de l’enfant disent à leur manière la fragilité de la vie commençante menacée d’être aussi une vie finissante. « Dès qu’un homme vient à la vie, il est assez vieux pour mourir », rappelait Heidegger[6]. Si nous ne savons rien de la manière dont fut habillé, nourri, soigné ce nouveau-né prénommé Jésus, nous savons cependant l’attention que certains portèrent à cette fragilité : les bergers et les rois mages qui au nom du monde, accueillent aussi l’enfant, rompent ainsi la solitude apparente de sa naissance. La piété populaire y a même ajouté le bœuf et l’âne apportant la chaleur de leur présence. N’est-ce pas ce que requièrent de la société toutes les situations de fragilité : attention, présence, adoption, inclusion. Noël n’est pas la fête de la puissance mais la manifestation d’une fragilité offerte en exemple et en  méditation à notre conscience. Les cadeaux de Noël faits aux enfants peuvent dire à leur manière ce que la fragilité peut susciter en tendresse et en considération. Mais Noël doit aussi inviter à porter son regard vers des fragilités que nous pourrions oublier en les laissant demeurer plus lointaines.

Noël parce qu’elle fête une naissance, fête aussi l’innocence et l’innocence implique une trève, une pause. La nuit de Noël appelle à la paix, la paix des armes, la paix des cœurs. Mais ces mots s’ils ne se veulent pas incantatoires ne doivent pas cacher  l’incapacité humaine à promouvoir de siècle en siècle des paix durables. L’espérance d’un monde meilleur ne prend sens que dans la souffrance que suscite le monde d’aujourd’hui, si semblable au monde d’hier mais qui rêve obstinément de la tendresse d’un monde meilleur. Puisse Noël faire rougeoyer quelques braises d’espérance.

[1] Alice Meyer. Sondage Diplomeo ; 12/12/2017. https://diplomeo.com/actualite-sondage_jeunes_noel_nouvel_an

[2] Philippe Lemoine. Sondage BVA-Presse régionale-Foncia ; Ouest-France ; 13/12/2016. https://www.ouest-france.fr/societe/sondage-les-francais-preferent-noel-au-jour-de-l-4682809

[3] Sondage IFOP-Le Pèlerin 26-27 novembre 2019. https://www.lepelerin.com/spiritualite/les-temps-de-l-annee/noel/noel-joies-et-deception-notre-sondage-exclusif/

[4] Luc 2, 6-8.

[5] Jürgen Habermas, L’avenir de la nature humaine: Vers un eugénisme libéral ?, trad. par Christian Bouchindhomme (Paris: Gallimard, 2015).

[6] Martin Heidegger, Etre et temps, trad. par Emmanuel Martineau (Edition numérique hors commerce, s. d.), http://t.m.p.free.fr/textes/Heidegger_etre_et_temps.pdf. Phrase citée par Heidegger en écho au « Paysan de Bohême ».

Pour télécharger le PDF, cliquer sur le lien suivant:

Noël, creuset de méditation éthique 2024 PDF

Pour écouter la chronique radio, cliquer sur le lien suivant:

Noël, creuset de méditation éthique 2024 Chronique radio

ou https://youtu.be/Gdj2zJianQ0