Déclaration d’Helsinki sur l’expérimentation humaine : soixantième anniversaire, un devoir de mémoire, une actualisation pour le vingt et unième siècle
Roger Gil; Billet éthique, 16 novembre 2024, 149
Le procès de Nuremberg et plus particulièrement le procès dit des médecins avait révélé les conditions atroces dans lesquelles avaient été réalisées des expérimentations sur des êtres humains, considérés par les nazis comme de simples instruments, sous prétexte que parce qu’ils étaient des malades mentaux, ou parce qu’ils étaient juifs ou tziganes, ils étaient considérés comme des sous-hommes. Tel est d’ailleurs le sens de crime contre l’humanité : refuser à un être humain la dignité plénière de personne humaine en raison de son appartenance à un « groupe » comme si l’on pouvait se prévaloir du droit de considérer que certains êtres humains pouvaient être inférieurs à d’autres êtres humains. Le procès de Nuremberg fut à bien des titres un procès inédit dans l’histoire du monde. Car outre les verdicts, Nuremberg fut aussi un « cri » : « Plus jamais ça ! ». Ce cri fut la rédaction d’un Code dans lequel les juges reconnurent que l’expérimentation humaine était indispensable aux progrès de la médecine, mais devait respecter « le droit des gens, tels qu’ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l’humanité et des exigences de la conscience publique »[1] et entre autres, le consentement, une évaluation soigneuse des risques, l’absence de souffrances, des scientifiques hautement compétents. Il revint à l’Association médicale mondiale de reprendre et de compléter ce code dans la déclaration d’Helsinki en 1964, complété par la déclaration de Tokyo en 1975[2] qui reconnut que les progrès de la médecine pouvaient « imposer de recourir à l’expérimentation humaine » ; néanmoins, la déclaration soulignait que, « dans la recherche médicale, le devoir du médecin et de protéger la vie, la santé, la dignité et l’intimité de la personne ; l’article 2 des principes de base rompait l’isolement du chercheur en énonçant que « le projet et la mise en œuvre de chaque phase de l’expérimentation portant sur l’être humain doivent être clairement définis dans un protocole qui doit être soumis pour avis, commentaires et conseils à un comité « désigné spécialement à cet effet », en somme, ce qui allait être appelé plus tard un comité d’éthique.
En comptant 1964 puis 1975, la déclaration avait fait l’objet de huit rédactions, la dernière en 2013 à Fortaleza[3]. Soixante ans après le premier texte, c’est à Helsinki, le 22 octobre 2024, qu’a été présentée cette dernière actualisation [4] qui pour la première précise que les principes éthiques concernant les recherches sur les êtres humains s’adressent non seulement aux médecins, mais à tous les chercheurs « individus, équipes, organisations »[5].
Il est difficile de citer dans le détail l’ensemble des adaptations décrites dans cette dernière version de la déclaration d’Helsinki. Il faut néanmoins souligner que cette révision ne procède d’aucun relativisme moral et ne se réclame d’aucune évolution « sociétale ». Son but est de garantir « la pertinence continue de la déclaration » en prévoyant « une protection accrue des populations vulnérables, une transparence accrue des essais cliniques et des engagements plus forts en matière d’équité et de justice dans la recherche »[6].
Afin de renforcer la prise en compte de l’autonomie[7], ce ne sont plus des « sujets » qui sont l’objet d’expérimentation (car ce terme contenait des relents de paternalisme),[8] mais des « participants ». Même s’ils sont jugés incapables de donner un consentement éclairé, leur assentiment doit toujours être recherché en plus de l’avis du représentant légal. Le désaccord du participant potentiel doit être respecté[9]. Il s’agit plus généralement pour les populations vulnérables (prisonniers, personnes dans le coma ou incapables d’un consentement éclairé) à la fois de les protéger de toute expérimentation abusive, mais aussi de ne pas les affliger d’une « perte » de chance au cas où des bénéfices peuvent être espérés d’une expérimentation. La révision de la déclaration accorde une attention particulière à toutes les formes de vulnérabilité (enfants, groupes ethniques minoritaires et pourrait-on ajouter populations précaires). Les exclure pourrait exacerber les disparités, mais leur inclusion demande des protections spécifiques[10].
Le protocole doit contenir une « déclaration des considérations éthiques en jeu » ; il doit bien sûr être soumis pour « examen commentaires, conseils et approbations » au comité d’éthique de la recherche « concerné », qui doit être « transparent » et « indépendant », qui peut avoir le droit de surveiller la recherche, de la suspendre et qui doit être destinataire d’un rapport final (article 22,23). Il s’agit donc d’un renforcement de l’encadrement éthique des expérimentations sur l’être humain[11]. De telles dispositions sont à amplifier ou à créer. Il en est de même de la disposition selon laquelle « Tous les participants à la recherche médicale devraient avoir la possibilité d’être informés du résultat général et des résultats de la recherche » (article 26).
Il est capital de noter que l’objectif de la recherche sur l’être humain ne peut être un simple accroissement des connaissances sur la biologie humaine : « L’objectif principal de la recherche médicale impliquant des participants humains est de générer des connaissances pour comprendre les causes, le développement et les effets des maladies ; d’améliorer les interventions préventives, diagnostiques et thérapeutiques ; et, en fin de compte, de faire progresser la santé individuelle et publique (article 7) ». L’intégrité scientifique est essentielle dans la conduite de recherches médicales impliquant des êtres humains (article 12). Tous les résultats des recherches menées sur des êtres humains devraient être publiés ou rendus publics d’une autre manière (article 36), même s’ils sont négatifs ou non concluants.
Bien d’autres aspects de cette déclaration révisée pourraient être détaillés comme par exemple les dispositions concernant les biobanques qui conservent les échantillons biologiques (comme des prélèvements de tissus ou d’autres substances corporelles humaines qui peuvent être associées à des données personnelles et des informations relatives aux donneurs[12]. Ces échantillons font ensuite l’objet de recherches qui doivent mieux protéger les droits des donneurs.
Il est dommage que cette révision ait fait l’objet de si peu de commentaires alors qu’elle marque le soixantième anniversaire de la première déclaration d’Helsinki et qu’elle se veut construite pour le XXI°siècle[13]. Elle s’inscrit en outre dans la continuité historique de la bioéthique moderne, initiée par le procès de Nuremberg ; elle souligne que les tensions éthiques liées à l’expérimentation humaine doivent continuer de faire l’objet d’une surveillance sans faille. Il y va de la crédibilité de la recherche médicale confrontée à deux défis distincts, mais complémentaires: l’expérimentation animale et l’expérimentation humaine. C’est d’ailleurs ce que rappelle aussi cette dernière révision de la déclaration d’Helsinki[14]. Comment imaginer en effet que l’on puisse tout à la fois infliger des souffrances aux animaux et respecter la dignité de la personne humaine ?
[1] https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2017-11/inserm-codenuremberg-tradamiel.pdf
[2] https://www.wma.net/wp-content/uploads/2024/05/DoH-Oct-1975_F.pdf
[3] https://www.wma.net/news-post/background-information-on-the-declaration-of-helsinki/
[4] https://www.wma.net/policies-post/wma-declaration-of-helsinki/
[5] La déclaration, quand elle désigne les médecins, ajoute : « et autres chercheurs ».
[6] https://www.wma.net/news-post/revised-declaration-of-helsinki-adopted-by-the-global-medical-community-strengthening-ethical-standards-in-clinical-research-involving-humans/
[7] Kirsten Bibbins-Domingo, Linda Brubaker, et Greg Curfman, « The 2024 Revision to the Declaration of Helsinki: Modern Ethics for Medical Research », JAMA, 19 octobre 2024, https://doi.org/10.1001/jama.2024.22530.
[8] Association médicale mondiale. Déclaration d’Helsinki : une révision pour le 21ème siècle ; 22 octobre 2024. https://www.redactionmedicale.fr/2024/10/declaration-dhelsinki-les-nouveautes-dans-la-jama
[9] article 29
[10] Jack S. Resneck Jr, « Revisions to the Declaration of Helsinki on Its 60th Anniversary: A Modernized Set of Ethical Principles to Promote and Ensure Respect for Participants in a Rapidly Innovating Medical Research Ecosystem », JAMA, 19 octobre 2024, https://doi.org/10.1001/jama.2024.21902. Le premier signataire de cet article a conduit le groupe de travail qui a procédé à l’actualisation dont la mise au point a duré deux ans.
[11] Des comités de surveillance ont déjà suivi des expérimentations considérées comme mobilisant d’importants enjeux éthiques comme les indications de la stimulation cérébrale profonde.
[12] François Jouanneau. La biobanque ou biobanking : une notion à construire ; 28 février 2017 ; https://www.lexing.law/avocats/biobanque-biobanking-notion/2017/02/28/
[13] Barbara E. Bierer, « Declaration of Helsinki—Revisions for the 21st Century », JAMA, 19 octobre 2024, https://doi.org/10.1001/jama.2024.22281.
[14] article 21 : « Le bien-être des animaux utilisés pour la recherche doit être respecté ».
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