Le critère de « qualité de vie affectée » est un puissant levier d’élargissement de l’éligibilité à l’aide active à mourir dans une société capacitiste

Le critère de « qualité de vie affectée » est un puissant levier d’élargissement de l’éligibilité à l’aide active à mourir dans une société capacitiste

Billet éthique, 6 juin 2025, 167

     Si la Haute Autorité de santé a indiqué l’altération de la qualité de vie comme l’un des critères caractérisant la phase avancée d’une affection grave et incurable, il est difficilement compréhensible que ce concept ait été introduit sans précaution dans le projet de loi voté par l’Assemblée nationale le 27 mai 2025 et traitant de l’éligibilité à demander une assistance au suicide ou une euthanasie. En effet

– si la phase avancée d’une affection grave et incurable affecte la qualité de vie, bien d’autres situations de maladie ou de handicap peuvent l’affecter ;

– affecter la qualité de vie n’est pas un tout ou rien et aucune précision n’est donnée sur le degré ou la manière dont la qualité de vie est affectée, ce qui contribue à rendre floues les conditions d’éligibilité à la mort ;

-trop souvent, la qualité de vie est un concept compris de manière sommaire et centrée sur la « déficience », alors qu’il s’agit d’un concept multidimensionnel impliquant par exemple l’activité physique, les douleurs physiques, la santé perçue, la vie et les relations avec les autres : il suffit d’ailleurs de se reporter aux nombreux travaux colligés par la Haute Autorité de Santé pour comprendre la complexité de l’évaluation de la qualité de vie, qui nécessite l’utilisation d’instruments de mesure faits de questionnaires destinés à cerner de manière précise si et en quoi la qualité de vie est affectée ;

– seule la personne malade peut répondre au sujet des différents éléments qui déterminent sa qualité de vie ; or trop souvent, on croit encore que c’est à l’observateur voire à l’entourage de juger de la qualité de vie de quelqu’un d’autre en raison de leurs propres représentations d’une déficience qui conduiraient à penser que la vie de quelqu’un vaudrait ou ne vaudrait pas la peine d’être vécue. C’est cette conception capacitiste de la qualité de vie qui risque de prévaloir dans cette loi si l’entourage ou l’observateur considèrent qu’il leur revient de juger de la qualité de vie d’une personne malade ;

-ceci explique qu’une même « déficience » peut ou non affecter la qualité de vie et que l’isolement social, les difficultés à accéder à des soins adaptés (comme les soins contre la douleur ou les soins palliatifs ou même bien sûr l’accès à un médecin dans les territoires défavorisés), les difficultés relationnelles avec l’entourage sont des facteurs puissants d’altération de la qualité de vie ;

– le caractère expéditif de la procédure prévue par cette loi, sa collégialité vidée de toute substance (le deuxième médecin peut ne pas avoir rencontré la personne malade) ne donnent aucune garantie sur l’évaluation de la qualité de vie et sur le devoir d’agir sur ses déterminants (par exemple la douleur, l’accompagnement) ;

-une interprétation sommaire du concept de qualité de vie élargit de manière massive l’éligibilité à l’aide active à mourir qui deviendra la solution la plus facilement accessible pour les personnes les plus humbles, les plus âgées, les plus isolées. C’est une des raisons, parmi beaucoup d’autres, qui font que cette loi, dans sa rédaction actuelle, ne donne pas les garanties nécessaires au respect de l’autonomie des personnes vulnérables.

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Qualité de vie et droit à mourir pdf

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