Proposition de loi sur la fin de vie : une mise en péril de l’autonomie

Proposition de loi sur la fin de vie : une mise en péril de l’autonomie

Roger Gil. Billet éthique, 12 avril 2025; 164

     L’exposé de la proposition de loi relative à la fin de vie dont se saisira le Parlement en mai prochain a de quoi susciter de vives inquiétudes en dépit du lyrisme de ses motifs introductifs invoquant la liberté, l’égalité et la fraternité pour encadrer la manière expéditive la légalisation de l’aide active à mourir en l’édulcorant par la double impasse faite sur l’épithète « active » (alors qu’il s’agit bien de l’administration de substances létales, c’est-à-dire mortelles) et sur la dénomination qui devrait être assumée de « suicide assisté » et d’ « euthanasie ».

L’un des motifs majeurs d’inquiétude est de constater combien la proposition de loi n’aborde que de manière rudimentaire la question majeure de l’autonomie. La seule prudence affichée par le législateur est d’exiger que le malade manifeste une volonté libre et éclairée, en considérant comme seule menace à une volonté libre et éclairée, l’existence « d’une maladie altérant gravement le discernement ». Par contre le texte s’appesantit lourdement sur l’obsession majeure qui a habité ses rédacteurs, à savoir le délit d’entrave, unique dans la législation internationale en menaçant de poursuites pénales et civiles celles et ceux qui exerceraient des « pressions morales et psychologiques…. à l’encontre de personnes qui souhaiteraient recourir à l’aide à mourir ». En somme le risque majeur ne devient pas la mise en œuvre inappropriée de l’aide à mourir, mais tout ce qui pourrait l’en empêcher. Ces dispositions sont inquiétantes et confirment que ce projet de loi, mutilé de bien des manières par rapport à sa version native, utilise les souffrances comme cheval de Troie d’un paternalisme libertarien énoncé d’ailleurs sans ambages dans l’exposé des motifs qui font de cette loi « l’image de la liberté de disposer de son corps que nous avons sanctuarisée dans notre constitution ». Comment admettre que toute demande d’aide à mourir, sauf maladie mentale grave, témoigne nécessairement d’une volonté libre et éclairée ? Est-il possible qu’une loi n’accorde pas la moindre attention à toutes les détresses qui peuvent conduire à énoncer le souhait de mourir ? Est-il acceptable qu’un tel souhait soit tenu séance tenante comme l’élément déclencheur d’une procédure expéditive menant linéairement à la prescription de la mort. Ce projet de loi méconnaît gravement le sens de l’autonomie.

L’autonomie est une conquête du siècle des Lumières : Emmanuel Kant appela l’Homme à sortir de sa minorité, à être son propre maître. Mais en même temps, Emmanuel Kant avait bien conscience que l’autonomie était pour chacune et pour chacun, une conquête qui devait échapper aux pressions, aux influences qui altèrent la liberté de choix, le sujet devenant hétéronome. C’est à juste titre que le concept anglo-saxon d’empowerment met l’accès sur la manière de permettre aux personnes vulnérables de progresser en autonomie, conçue comme une puissance d’agir, une capacité de choisir, car l’autonomie de l’être humain est, elle aussi, vulnérable donc menacée et elle l’est tout particulièrement quand l’accident ou la maladie graves arrachent le sujet au cours ordinaire de la vie, désagrègent son tissu social, peuvent affecter sa vie familiale. C’est ainsi que sa santé empirant, il se sent inutile, il se vit comme un fardeau pour sa famille, pour la société et il est alors envahi par un sentiment d’isolement social. Or il a été montré que les situations d’isolement social, le sentiment d’abandon activent en imagerie cérébrale les mêmes zones que celles qui sont activées par les dimensions émotionnelles des douleurs physiques. C’est quand les douleurs physiques ou les douleurs psychosociales de l’isolement bouleversent l’équilibre émotionnel, occupent de manière de plus en plus intrusive le champ de conscience, que le sujet devient indisponible à toute autre pensée que sa douleur et qu’il passe alors de la douleur à la souffrance. Tel est le cheminement qui fait passer le sujet de la déliaison sociale aux souffrances insupportables qui effondrent le sens même de la vie et le goût de vivre. C’est dans ce contexte, ignoré par cette proposition de loi que le sujet exprimant son désir d’en finir avec la vie pourra être considéré « légalement » comme témoignant d’une volonté libre et éclairée donc autonome alors qu’il en fait hétéronome. De telles demandes sont très souvent réversibles ou fluctuantes et font de l’accompagnement, inséparable des soins palliatifs, un devoir de reliance qui amende ou efface le sentiment de déliaison sociale. On constate aussi que des visites de certains proches ou d’accompagnateurs appartenant aux mondes de la santé, du secteur médico-social, du bénévolat associatif peuvent, en allégeant la souffrance, permettre de retrouver le goût de vivre. Ces constats ont d’importantes conséquences.

Ils montrent d’abord que le projet de loi procède d’un acharnement libertarien, ignorant la distance qui sépare l’énonciation d’un souhait d’en finir avec la vie avec une prise de décision étayée et résolue. Comment accepter que pour une décision aussi importante, la collégialité médicale soit esquivée en envisageant que le second médecin pourrait donner un avis sans entretien avec la personne malade ? Comment accepter que la collégialité se réduise à la quête d’avis successifs sans prévoir de réunion et de débat entre les professionnels de santé sollicités qui pourraient ainsi confronter leurs analyses ? Comment accepter qu’une fois la décision prise, elle puisse être exécutée dans les 48 heures voire moins, excluant ainsi toute chance de voir éclore une demande d’accompagnement ? Ce projet de loi émane de personnes en bonne santé, qui n’ont ni l’expérience des soins ni l’expérience de l’accompagnement, poussées par leurs convictions philosophiques, par leurs propres représentations de la mort comme par des expériences issues d’une ou deux situations personnellement vécues de manière éprouvante au sein de leurs relations familiales ou sociales.

 S’il existe certes des soignants favorables à l’euthanasie, ils sont minoritaires et il est triste de constater l’abîme qui sépare le législateur de l’immense majorité des médecins et des professionnels de santé œuvrant dans le domaine des soins palliatifs, alors qu’ils sont en première ligne dans l’accompagnement des personnes dites en fin de vie.  Ils n’ont de souci que de promouvoir l’autonomie des malades qui peuvent venir jusqu’à eux en traitant de manière unifiée les souffrances d’origine physique avec toutes les ressources thérapeutiques et les souffrances qu’elles soient d’origine physique ou qu’elles procèdent de la déliaison sociale, par l’accompagnement et les soins apportés aux personnes jusqu’au bout de la vie. Est-il acceptable que leur voix ne soit pas entendue ?

          

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Fin de vie et autonomie; PDF